Patrice à Barcelone

Après l’Ironman de Francfort en juillet, j’avais, cette année, décidé de doubler sur la distance en allant à Barcelone en octobre, chercher une dernière dose de soleil et d’adrénaline. Le nom du Challenge est Barcelone mais la course se déroule en fait à Calella, question de prestige et de notoriété internationale, je suppose, c’est comme si Montigny le Bretonneux utilisait le nom de Paris pour vendre son organisation, ce serait forcément plus glamour mais bon comme Montigny le Bretonneux n’organise même pas une brocante vu que c’est une ville nouvelle, on s’en fout un peu.

Calella donc, se situe à cinquante kilomètres au Nord de Barcelone ; je dis cela pour les curieux de géographie ; pour les autres, retenez juste que c’est en Espagne. Son principal atout : la plage. C’est en fait une plancha géante où l’on fait cuire les touristes à grande échelle après les avoir au préalable enduits d’huile assaisonnement de base de la cuisine espagnole. Calella se situe en Catalogne, difficile de l’oublier, car là bas climat aidant, chaque logement possède un balcon, dont un sur deux arbore le drapeau de la province calé entre le bloc de la clim, le vélo du gosse et le vieux frigidaire de la grand-mère qui est peut être dedans d’ailleurs, on ne sait pas. Le balcon est au catalan ce que le grenier est au français un ensemble hétéroclite de « ca peut servir un jour » et un support fort utile pour afficher son appartenance régionale, car visible de tous. L’ibère est rude, comme chez nous, mais nous on s’en plaint et le catalan est fier, il emmerde l’andalou pour la simple raison qu’il n’est pas catalan. C’est un peu comme les bretons et les alsaciens c’est le même pays mais bon il ne faut pas trop vouloir les comparer ce qui a permis à Brassens d’écrire une si belle chanson sur les imbéciles heureux qui sont nés quelque part. A noter que l’Alsacien, lui, ne met pas de drapeau à son balcon mais des géraniums et que c’est juste pour faire joli et le breton lui met des hortensias mais pas sur le balcon car c’est trop gros pour un pot et qu’un balcon en Bretagne c’est à peu près aussi utile que la crème solaire. Et le triathlon dans tout cela ?? Nous y reviendrons, pas de panique.

D’un point de vue architectural, Calella a peu de chance de passer un jour à la postérité ou au patrimoine mondial de l’Unesco. Si Barcelone doit des œuvres majeures à l’influence de Gaudi et de son mécène Guell, Calella doit son développement à la découverte du béton armé et à son mécène Calcia. Le site a dû se développer dans les années 60/70 grâce aux industriels qui ont balancé le béton au bombardier avec la même frénésie, à la limite de l’hystérie, que les américains ont mis à arroser le Vietnam au Napalm avec des résultats un peu différents. Il en résulte un décor qui manque un peu de flamboyance, avec le soleil dans les yeux on ne voit pas trop bien et cela passe. Les jours de pluie il ne vaut mieux pas sortir cela fout le bourdon. Le point dominant dans cette architecture réside dans l’idée géniale qui a consisté à mettre la voie ferrée entre la plage et les premiers immeubles du bord de mer, la rendant uniquement accessible par tunnel ou traversée suicidaire des voies. Nous nous sommes installés donc dans une petite auberge locale typique, le Kaktus Hôtel, aux interminables couloirs et balcons rectilignes aussi propres et aseptisés qu’une salle d’opération. La population résidente principale était composée de touristes retraités allemands, qui affichaient sur leur tour de hanche, la bonne santé outrancière de leur économie nationale, ce qui laisse à penser que tous ne font pas les sacrifices qu’ils ont érigés en principe. Nous étions une quinzaine de triathlètes dans cet hôtel, ce qui nous faisait passer pour un mini congrès d’anorexiques. Durant notre séjour, le démarrage de l’Oktoberfest, sorte de festival international des fanfares européennes, est venu ajouter une touche sonore sympathique dans l’hôtel. Les amateurs bedonnants de musique youmplala, munis de tambours et tromblons, côtoyant les triathlètes dans leur tee-shirt moulants fluo « jesuisfinisherdelacourselaplusduredumonde ». Assemblage improbable mais bon enfant. La qualité des portes des chambres et l’isolation phonique du double vitrage, nous ont permis de vivre en bonne intelligence ; de plus nous nous sommes trouvés un point commun essentiel : l’amour de la bière. Enfin un saint après ceux des femmes qui réunit les hommes : San Miguel.

L’ensemble de la compétition se passe au bord de la mer, c’est pratique pas de risque de se perdre. Seul le retrait des dossards se fait à deux cent mètres à l’intérieur des terres, une quasi aventure. Salle la Fabrica Llobet, une sorte de mini halle et accessoirement une ancienne usine textile, dans laquelle est aussi positionné le village des athlètes. Il comporte à peu près autant de stands que le marché paysan de Sainte croix aux Mines freinant pour une fois nos velléités consuméristes, au lieu de les attiser. La marque Challenge, qui plus est n’est pour le moment pas dotée de produits dérivés ou alors pas sur ce site, donc pas de temps perdu à faire du shopping. Retrait facile du dossard sans pièce d’identité avec une licence de 2011 et perception du sac à dos souvenir, ce qui rend les formalités plus simples qu’au triathlon international de Damelevières. Le prochain qui pensera à nous offrir un dos pour mettre tous ces sacs sera bien inspiré. Du coup j’ai roulé mon sac Iron et je l’ai mis dans le sac challenge histoire de le remplir. Parc à vélo installé sur un terrain de football synthétique au bord de la plage à côté de l’immense tente vestiaire contenant les sacs de transition plutôt pratique car on se change devant sa place de transition et on replace son sac pas de temps perdu à chercher. Pour mettre le vélo au parc en revanche, c’est plus compliqué ; il faut son passeport, bien sur nous ne l’avions pas. Thierry, en bon italien, a montré un relevé de CCP sur son Iphone et est passé, moi pas …..Non, je ne me suis pas énervé… j’ai juste dit : tac tac basket Francia campéon d’Europe et je suis reparti à l’hôtel, 2 bornes plus loin, chercher mon passeport. « Faut pas gonfler Gérard Lambert, quand il répare sa mobylette, c’est la morale de ma chanson…. »

La finish line se trouve à deux kilomètres et demi du parc à vélo et sert de lieu au départ pour la natation. On part de l’arrivée et on arrive au départ on boucle donc bien la boucle.

Nous avons passé deux jours et demi à remonter les vélos pédaler et courir mollement, visiter les environs, faire une tentative de natation, qui m’a plus inquiété que rassuré vu les vagues, et glander à la plage. A noter que nous n’avons pas respecté le maintenant traditionnel protocole de la bière unique l’avant-veille de la course mais que nous avons bu ce qui était nécessaire à une saine hydratation et au contentement de nos envies. En clair on en a bu plus d’une et ce jusqu’à la veille au soir mais en restant raisonnables.

La saison aidant et le soleil faisant la grasse matinée en octobre, le départ était programmé à 8h45. Pas de réveil donc à trois heures du matin, la bouche pâteuse et l’œil collé, mais réveil peinard à 6h, comme pour aller travailler en somme, c’est appréciable de se lever plus tard, pas d’aller travailler. Petit déjeuner avancé et adapté par l’hôtel juste pour les triathlètes donc pas un joueur de tromblon, ni de buveur de bière à l’horizon. Ambiance moyennement décontractée comme toujours dans les avant courses mais sympathique tout de même. Petite marche digestive de 5 bornes aller retour pour aller au parc à vélo vérifier notre matériel et gonfler les pneus, idéale pour le transit. Thierry n’a pas tenu le retour, je le soupçonne d’aimer l’ambiance particulière de ces cabanes en plastique ; moi, pour une fois que je pouvais retourner à l’hôtel, je ne m’en suis pas privé. Notre situation nous plaçait près de la ligne de départ, donc nous avons quitté l’hôtel en combinaison de natation. Petit échauffement et départ par vague toutes les 3 minutes, les élites en tête puis après par catégorie d’âge donc forcément nous ne sommes partis, ni ensemble, ni dans les premiers ; je sais nous n’avons plus vingt ans. Parcours assez simple 100m tout droit virage à droite 90degrés 850m tout droit virage à gauche 90 degrés 100m tout droit virage à gauche 90degrés….. ca va vous suivez toujours pour nous c’est bon en tous cas et là …. 2450m en ligne droite. La même que dans la piscine du connard qui a gagné à l’euro million et qui n’aime pas faire demi-tour. C’était un peu chiant, un peu long et les bouées un peu loin les unes des autres. Parfois je me demande si ceux qui font les parcours, nagent. La tête au ras de la flotte avec les vagues qui se sont formées avec le réveil du vent, pas facile de savoir où on en est. En face la mer à l’infini, idem à droite, et à gauche, la berge et ses immeubles laids. Pour ne pas changer, j’ai suivi des mecs nuls en orientation, nous nous sommes retrouvés à la bouée du tout premier virage avant de nous faire entourer par des gugusses en jet ski qui soufflaient à s’en faire pêter les poumons dans des sifflets imitant le cri de la chouette au clair de lune. C’est d’ailleurs l’incongruité de la présence supposée de ces volatiles en mer qui a attiré mon attention. Une sorte de chasse à la baleine sans harpon ,c’est la pêche no kill. Retour vers la bonne bouée et reprise d’une trajectoire rectiligne en fait à ce que je pensais car la bouée suivante lorsqu’elle apparait dans mon champ de vision est à ma droite au lieu d’être à ma gauche et retour des chasseurs en jet ski. Dernière rectification les bouées suivantes, je ne les raterai pas. Avec le courant et mes pertes de trajectoire, sortie en 1h26, Thierry fait de la bicyclette depuis déjà 17 minutes. 10 minutes de plus qu’à Francfort l’affaire est mal engagée pour règler le compte de mes 56s.

Départ vélo après une transition efficace, j’apprends de mes erreurs passées, et je ne fais plus manucure brushing. Début de route scabreux des dos d’âne tous les deux cent mètres petit tour de grand huit avec des demi tours des contours et des tours de cons après deux kilomètres de ce régime et trois kilomètres de liaison plus cool même punition que pour la natation une quasi ligne droite de 36 kms retour sur la même route re ligne droite aller retour de 72 bornes et re aller retour de 30 bornes pas besoin de GPS il faut juste retenir le nom du village du demi tour. Je m’en vais à Montgat ,je reviens de Montgat, je m’en vais à Montgat, je fais le boogie woogie, je fais le tour de moi même et je vais en avant … oui je sais la référence musicale est un peu pourrie et celui qui trouve gagne un sac à dos. Parcours donc pour les intellectuels et les gestionnaires à droite et à fond et ne pas drafter (12m mini) ou ne pas se faire chopper. Nombreux sont ceux qui jouent, pas simple au début de ne pas rester dans des groupes. Je double et je me fais des amis qui me suivent pour voir si je vais bien aux soldes à Montgat. Un arbitre nous suit pendant près de trente bornes, ca repasse devant re ralentit cela m’agace, pourtant je suis un garçon gentil. Après deux rappels à l’ordre de l’arbitre au groupe, je m’arrête sagement pour une pause technique. Bon choix a postériori vu que je retrouverai tous mes copains trente bornes plus loin dans la penalty box l’air penaud, pour une pause forcée de huit minutes. Au bout de 120 kilomètres, en position chrono aussi inconfortable que celle du tireur couché, j’ai un mal de dos assez vif qui me taraude. J’ai l’impression d’avoir un essaim de frelons énervés dans le bas du short, dès que je bouge un peu. Le bec de selle commence lui aussi à faire effet, je refroidis à grande eau. Heureusement qu’il y a une portion de 10 bornes avec quelques côtes, cela permet de se relever un peu. Le vent est soutenu et latéral ce qui fait que j’ai l’impression de l’avoir souvent dans le nez. Sur la fin du parcours les caprices de la météo nous gratifient d’un bel orage. Le bétonnage intensif du littoral provoque un ravinement des eaux de pluie assez intense et visiblement le principe retenu pour l’écoulement des eaux et que tout doit finir à la mer par le chemin qui lui semble le plus court. Cela crée de belles mares, avec de l’eau jusqu’au pédalier, mais tel le petit cheval blanc je maintien le cap et l’allure enfin à peu près. Nous finissons par le même tour de grand huit qu’à l’aller. Je pose le vélo en 5h08 Thierry a bouclé le parcours en 4h56, le P5 n’explique pas tout mais je suis satisfait. Le retour à une position plus verticale et plus conforme à celle de l’homo sapiens me coûte un peu. J’ai le visage aussi marqué par la douleur que Gisèle la voisine de mes parents lorsqu’elle a appris le décès tragique et brutal de Claude François qui, si nous avions inventé le disjoncteur différentiel plus tôt, ferait encore la joie des animations en maison de retraite aujourd’hui. Mais bon, il n’est plus temps de pleurer sur le passé, il y a un marathon à courir. Transition rapide les premiers hectomètres sont assez pénibles avec ce mal de dos lancinant, et je pars sur un bon rythme histoire de voir si une douleur chasse l’autre. Cette méthode à autant d’effet que de se tirer un poil de cul pour chasser une migraine. Je croise ma chérie, toujours présente dans les moments difficiles, et j’ai du mal à lui cacher mon manque d’enthousiasme à la perspective de courir 42 kilomètres mais elle me rappelle que la cantine ferme à 21h et qu’il est hors de question que l’on rate le buffet alors que l’on a pris l’option demi-pension. Sur ces paroles réconfortantes, je repars donc à l’assaut. La particularité du parcours fait qu’au bout de deux kilomètres et demi de course, on se retrouve à l’arrivée, nous passons à 1m à droite de l’arche d’arrivée il faudra encore quatre allers retours pour y avoir accès. Les 5 premiers kilomètres sont animés, public et encouragements, la seconde partie est plus délicate, le paysage laissant penser par moment que l’on est en train de courir derrière l’usine Solvay ce qui attire moins le public et prête plus à la méditation. Il est temps de réfléchir à des thèmes du style « la crise économique actuelle sonne t’elle le glas de notre système de santé solidaire » ou « faut il maintenir Benzema à le pointe de l’attaque de l’équipe de France ». Henry IV aurait été triathlète il aurait lui passé en revue ses soixante dix maitresses mais, oublions, nous avons fait la révolution, le temps n’est plus à la gaudriole.

Une fois les premiers kilomètres passés le temps de la transition étant digéré, je m’installe dans un bon rythme, entrecoupé par les encouragements de nos supportrices intelligemment placées dans le no mans land Solvay. Point de divertissement, le passage sous la voie ferrée dans un souterrain un peu inondé par le dernier orage et aux fragrances si particulières qu’émet l’urine de catalan sur hydraté à la San miguel. C’est l’occasion de mettre en pratique l’enseignement reçu au ballet théâtre, et de faire des pointes pour préserver la basket. Trente bornes de ce train là, puis survient non pas le mur mais disons une forme de lassitude musculaire, un petit coup de moins bien maintenant dans le dernier tour il faut s’accrocher. Au dernier passage, je baisse la tête pour ne pas regarder le chrono de la ligne d’arrivée ; au vrai passage de la banderole je regarde enfin mon chrono 9h53mn 44s. N’étant pas sûr de la performance de mon nouveau déodorant Narta, et soucieux de ne pas imposer à chaque fois la vue de mon système pileux, je n’ai pas levé les bras mais j’avoue à ce moment là, avoir ressenti une joie fugace mais intense devant l’objectif accompli. Je rejoins Thierry, arrivé en 9h47 et attablé avec un anglais. Nous n’avons pas trop trainé vu l’horaire de la cantine, le vélo à récupérer, et nos chéries qui attendaient après une très longue journée aussi pour elles, avec 12 kilomètres officialisés par le Garmin de transitions encouragementales l’effort valait bien un néologisme. Merci à elles, on le dit à chaque fois, mais cela reste toujours vrai.

« Les papillons en l’air et les fourmis par terre, chacun est à sa place il n’y a pas de mystère… »Voilà je n’ai pas claqué la fesse de Thierry, comme le veut la coutume en cas de dépassement, certains me l’ont fait remarquer, mais elle fut un point de fixation intéressant tout de même, et je souhaite à bien d’autres de s’en rapprocher un peu comme je l’ai fait car croyez moi, elle reste une fesse de référence qui permet d’aller un peu plus loin à chaque fois. Je me plais aussi à croire que, de me sentir derrière, il n’a rien lâché dans l’effort, une sorte de collaboration réciproque autorisée par le règlement, en tous cas ce fut agréable de faire ces 226 kilomètres ensemble après tout ceux de l’entrainement.

Après l’effort, le réconfort : visite de Barcelone et de ses environs un point de vue aussi très intéressant le retour jeudi à l’ordinaire du travail fut un peu moins drôle mais avec plein de bons souvenirs de cette semaine.

Pour cette année c’est fini ; j’attends de lire le compte rendu de ceux qui ont encore de jolis dossards à porter.