Le récit de Didier sur lesTempliers

« Non Nobis, Domine », autrement dit « Pas nous, Seigneur », c’était la devise des Templiers. Ils voulaient dire par là qu’ils n’avaient pas d’importance en tant qu’individus,  que tout ce qui comptait, c’était la gloire du Seigneur. Bon, les gars, ils répétaient ça à qui voulait l’entendre, mais dans le même temps, ils menaient grand train, et se fringuaient plutôt clinquant, avec des croix sur tous les accessoires, presque 700 ans avant la Madonna de « Get into the groove » . Ce côté faux modeste du Templier, c’était un appel à l’extermination, vous pouvez me croire.

Tout ça pour dire quoi ? Tout ça pour dire qu’à 5h15 du mat’, au départ des Templiers, quand ils allument 2 rangées de torches rouges et qu’ils t’envoient « Domine » d’Era dans les esgourdes, même si t’es pas du genre à discuter avec un ami imaginaire en utilisant un mec en robe comme antenne-relais, ça te secoue grave la paillasse. Je vais vous l’avouer, mais ne le répétez pas : j’ai peut-être bien écrasé une petite larme à ce moment-là, et peut-être même 2 . En tout cas, je me suis dit que ces quelques fugaces secondes, elles justifiaient à elles seules toutes ces heures d’entraînement. Des centaines d’heures pour quelques secondes, c’est ça l’essence du sport d’endurance, vous le savez bien. Ce marché-là, que ceux qui ne savent pas appelleraient « marché de dupes », on est prêt à le conclure encore et encore.

« Non Nobis, Domine » … 12 heures plus tard (l’objectif était à 11 heures, ouille !), je me suis dit « Pas moi ». Pas pour moi, le trail : 

- Le trail, c’est l’ultra-vigilance, l’anticipation du terrain, le survol des pierres et autres racines. Pour moi, ça a été 2 gamelles, dont une dans le ravin, et une rencontre fortuite avec une branche d’arbre qui m’a fait voir quelques chandelles (une bonne trentaine, je dirais),

- Le trail, c’est la rusticité, une endurance musculaire extrême. Mes muscles m’ont quant à eux dit « Tu nous fais chier avec tes conneries, on s’arrête ici » vers le 65ème km, me forçant à faire les 10 km les plus difficiles avec  je-sais-pas-quoi,

- Le trail, ce sont ces images faux-cool de mecs qui arrivent en souriant, genre « j’ai couru un peu dans la montagne, mais je suis frais et je sens bon sous les bras ». Mon arrivée, je pourrais la revendre à l’équipe de The Walking Dead pour qu’ils l’intègrent au trailer de la prochaine saison.


Mais le trail, c’est aussi :

- Des sites somptueux, dont on a le sentiment, lui aussi fugace, mais tellement précieux, de faire partie (la traversée du chaos de Montpellier le Vieux, la vue depuis le Pouncho d’Agast… vous coupent le peu de souffle qu’il vous reste)

- Une vraie solidarité entre les participants quand, au hasard, 4 concurrents s’arrêtent pour aider un boulet à sortir du ravin (voir plus haut) et l’aident à redonner à ses ischios une souplesse compatible avec un semblant de progression

- Une lutte entre un individu et un parcours, où l’aspect chronométrique est secondaire, sauf pour les Elite. Et là, 2 possibilités : soit on perd, soit le parcours vous laisse gagner

- La possibilité d’accomplir ce pour quoi l’animal qu’on est, l’animal qu’on n’est plus, est fait.


En somme, le trail, c’est un peu la nostalgie de quelque chose qui n’a peut-être jamais existé, une trace, un atavisme, une connexion dans le cerveau reptilien, un fil d’Ariane qu’on a lâché il y a longtemps et dont on sent soudain la présence dans l’obscurité,  je sais pas trop (avec pas mal de merchandising et beaucoup trop d’emballages vides sur les sentiers, faudrait pas idéaliser quand même, on est au XXIe siècle).


Alors, si c’est vraiment ça, même un tout petit peu,  si c’est pas mon cerveau en hypoxie qui me fait délirer, alors je crois que j’aime ça et même, maintenant que la magie de l’élaboration du souvenir commence à diluer le terrible sentiment d’impuissance que j’ai  pu ressentir par moment en regardant là-haut, si haut, trop haut, je crois que j’y retournerai, là-bas ou ailleurs.